Que dit la législation
La protection de la santé physique et mentale des salariés, une obligation pour l’employeur
L’article L.4121 du Code du travail est formel : « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Ces mesures de protection comprennent :
– des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
– des dispositifs d’information et de formation des collaborateurs ;
– une organisation et des moyens adaptés aux missions ;
– la prise en compte des changements éventuels, tels que les nouveaux produits, les nouvelles technologies ou les modifications significatives de rythme de travail ;
L’employeur est tenu d’éviter les risques, et à défaut de pouvoir les éliminer tous, doit évaluer ceux qui ne peuvent être évités, s’attaquer à leur source, notamment en remplaçant des procédés dangereux par d’autres qui le sont moins, en intégrant les nouvelles méthodes techniques, en veillant à maintenir des conditions de travail soutenables, en offrant des moyens de protection collective, en donnant des instructions claires et non paradoxales, etc. Et cela concerne toutes les catégories de personnel : permanents, intérimaires, sous-traitants, saisonniers, occasionnels, etc.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) distingue trois niveaux de prévention, généralement admis par les acteurs :
– le niveau primaire, qui vise à attaquer le risque à sa racine, y compris en se concentrant sur les processus et l’organisation du travail ;
– le niveau secondaire qui consiste à renforcer la capacité de résistance et d’adaptation des salariés (formation, sensibilisation aux dangers, rappels réguliers des procédures, équipement individuel ou collectif), de sorte que les aléas et leurs conséquences éventuelles s’en trouvent atténuées ;
– le niveau tertiaire, axé sur la prise en charge en cas d’incident, la réparation et les leçons qu’il convient d’en tirer. Il prend la forme d’une prise en charge des personnes en souffrance ou en difficulté.
La responsabilité de l’employeur, assortie d’une obligation de sécurité de résultat depuis l’arrêt Eternit (Cour de cassation, chambre sociale, 28 février 2002), ne va pas sans conséquence sur les plans civil et pénal. S’il déroge à son devoir, l’employeur peut être condamné pour faute inexcusable, synonyme d’indemnisation alourdie, même si la preuve de la faute revient généralement à la victime, à quelques exceptions près. La faute inexcusable entraîne pour ce dernier ou pour ses ayants droit une majoration de la rente ou du capital attribué, en tenant compte de l’altération des capacités de l’intéressé. À cela s’ajoute la réparation des préjudices non couverts par la sécurité sociale, ceux causés par les souffrances physiques et morales endurées, la perte d’employabilité, voire les désagréments esthétiques.
En outre, les infractions aux règles de santé et de sécurité au travail sont passibles de sanctions pénales. La sévérité varie selon la gravité des accidents et les circonstances qui les ont entourés. Cela va de la simple contravention pour blessures légères involontaires ayant entraîné trois mois d’incapacité de travail au maximum, à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende pour un homicide involontaire.
Si l’indemnisation est assurée par la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), celle-ci se retourne contre l’employeur pour récupérer les frais engagés.
DE NOMBREUX ACTEURS DE LA SANTÉ AU TRAVAIL AU SEIN DE L’ENTREPRISE.
Si la responsabilité de l’employeur est soulignée par le législateur, les autres acteurs de la santé au travail, à commencer par le salarié lui-même, mais aussi les services de santé au travail, la direction des ressources humaines, l’encadrement et les instances représentatives du personnel ont un rôle non négligeable à jouer.
Le travailleur est aussi acteur de sa propre santé et de sa sécurité au travail. L’article L. 4122-1 du Code du travail prévoit qu’il lui incombe de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions, conformément aux instructions données par l’employeur (dans les conditions prévues au règlement intérieur pour les entreprises tenues d’en élaborer un). Là encore, toutes les catégories sont concernées : permanents, sous-traitants, occasionnels…
Le travailleur est tenu d’alerter immédiatement son employeur de toute situation pouvant laisser penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie, ou pour sa santé, ainsi que toute avarie ou défaut constaté dans les dispositifs de protection.
Il est précisé par ailleurs que ces dispositions sont sans incidence sur le principe de responsabilité de l’employeur. Autrement dit, l’obligation du travailleur ne s’applique que dans la mesure où l’employeur a préalablement rempli la sienne. De même, la responsabilité du travailleur qui peut être appréciée à la lumière de son âge, de son expérience et de sa condition physique, n’exclut pas celle de l’employeur.
Les services de santé au travail (SST), autonomes ou interentreprises jouent, cela va sans dire, un rôle clé. Ils ont pour mission exclusive d’éviter toute altération de la santé des employés du fait de leur travail. À cette fin, ils conduisent les actions de santé au travail, dans le but de préserver la santé physique et mentale des travailleurs tout au long de leur parcours professionnel.
Ils conseillent les employeurs, les collaborateurs et leurs représentants sur les dispositions et mesures nécessaires afin d’éviter ou de diminuer les risques professionnels, d’améliorer les conditions de travail, de prévenir la consommation d’alcool et de drogue sur le lieu de travail, de prévenir ou de réduire la pénibilité du travail et la désinsertion professionnelle, et de contribuer au maintien dans l’emploi des travailleurs.
Ils assurent la surveillance du personnel en fonction des risques pesant sur sa sécurité et sa santé au travail et de la pénibilité des tâches, tout en tenant compte de l’âge.
Ils participent au suivi et contribuent à la traçabilité des expositions professionnelles et à la veille sanitaire.
Le service de santé au travail peut être directement implanté dans les entreprises de 500 salariés ou plus (services autonomes), ou être partagé par plusieurs entreprises (services de santé au travail interentreprises). Dans le premier cas de figure, le médecin du travail exerce les missions dévolues à ces services en toute indépendance. Il mène ses actions en coordination avec l’employeur, les membres du CHSCT ou à défaut les délégués du personnel et éventuellement les salariés compétents, les personnes ou organismes mentionnés à l’article L. 4644-1 (notamment le ou les salariés désignés par l’employeur pour s’occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels). Dans les services de santé au travail interentreprises, le médecin du travail anime et coordonne l’équipe pluridisciplinaire afin de conseiller les employeurs sur les problématiques liées aux conditions de travail et de veiller à la préservation de la santé des salariés. Par ailleurs, l’équipe pluridisciplinaire se coordonne avec le service social du travail, lorsqu’il en existe un. Dans les deux cas, l’indépendance du médecin du travail dans l’exercice de son activité reste un élément essentiel du dispositif.
L’article R. 4127-5 du Code de la santé publique précise à cet égard que « le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit ». De même, l’article R. 4127-95 prévoit que, « le fait pour un médecin d’être lié dans son exercice professionnel par un contrat ou un statut à un autre médecin, une administration, une collectivité ou tout autre organisme public ou privé n’enlève rien à ses devoirs professionnels et en particulier à ses obligations concernant le secret professionnel et l’indépendance de ses décisions. En aucune circonstance, le médecin ne peut accepter de limitation à son indépendance dans son exercice médical de la part de l’entreprise ou de l’organisme qui l’emploie. Il doit toujours agir, en priorité, dans l’intérêt des personnes et de leur sécurité au sein des entreprises ou des collectivités où il exerce ».
En complément du rôle joué par le médecin du travail, l’infirmier( ère) est un acteur important pour donner de l’information sur les données de santé et notamment sur les données infrapathologiques (plaintes, douleurs…) qui sont des indicateurs d’alerte essentiels pour la prévention. La mise en lien de ces indicateurs précurseurs, des données de santé (soins à l’infirmerie, accidents du travail…), des éléments sur les postes tenus et des caractéristiques de la population concernée permet d’amorcer et d’enrichir le diagnostic sur la problématique en question. Il est important que l’infirmier(ère) puisse participer au CHSCT.
Une autre catégorie occupe une place de choix : les intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP). L’exercice de cette activité est subordonnée à une habilitation délivrée par la Direccte. L’IPRP peut être une personne morale (cabinet, société de conseil, service de santé au travail), ou une personne physique. Dans ce dernier cas, le rôle de l’intervenant est d’assurer des diagnostics, de prodiguer du conseil, d’accompagner et d’appuyer les démarches de santé au travail. Il ne peut en aucun cas réaliser des actes relevant du médecin du travail. Il exerce en toute indépendance.
La direction des ressources humaines est, en principe, intimement associée à la politique de santé au travail. Le DRH peut participer au CHSCT et dans certaines entre-prises, par délégation de la direction, en assurer la présidence. Le DRH ou le responsable des ressources humaines contribue à instruire les problématiques de santé au travers des indicateurs sociaux (absentéisme, turnover, données sur les accidents de travail, sur les maladies professionnelles). Cela permet d’avoir une vision quantitative qui peut être étayée par une analyse qualitative (catégories particulières concernées par les problématiques de santé, zones géographiques de l’entreprise les plus touchées, gestion des compétences des salariés, parcours professionnels conciliant besoins de l’entreprise, aspirations des salariés, caractéristiques des salariés notamment en termes de santé, etc.). Autant de recoupements qui font le lien entre les conditions de travail et la performance.
Le rôle de l’encadrement est souvent négligé lorsqu’il s’agit des politiques de santé au travail. À tort, car ce maillon essentiel du fonctionnement de l’entreprise veille au bon fonctionnement de l’organisation et de l’atteinte des objectifs de performance définis par la direction.
L’intérêt de se préoccuper de l’encadrement dans les démarches de prévention est double. Primo, il a une vision globale du travail et peut apporter des éléments utiles sur la compréhension notamment des contraintes et des difficultés. Secundo, il perçoit souvent directement les problèmes posés. C’est le cas lorsqu’il y a de l’absentéisme lié à la maladie. L’encadrement peut donc contribuer à assurer une cohérence entre les décisions ou les orientations prises par l’état-major et leur mise en oeuvre. En particulier, il peut alerter sur la contradiction entre santé au travail et certains objectifs de production, excessivement élevés. Pourtant, il arrive fréquemment que l’encadrement soit ignoré dans la chaîne de prévention.
LE CHSCT, UNE INSTANCE CENTRALE
Le CHSCT, institué dès le seuil de 50 salariés, a pour mission de contribuer à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des salariés ainsi qu’à l’amélioration des conditions de travail (Code du travail, art. L. 4612-1). Il peut se présenter des variantes du CHSCT, du fait d’un regroupement d’instances.
Dans les entreprises d’au moins 300 salariés, la loi du 17 août 2015 instaure la possibilité de regrouper les membres du CHSCT, ceux du comité d’entreprise (CE) ou au sein d’une instance commune, dotée de la personnalité civile. Toutefois, le regroupement doit être prévu par un accord signé par un ou plusieurs syndicats représentatifs, totalisant au moins 50 % des suffrages.
Dans les entreprises de moins de 300 salariés, l’employeur peut décider de mettre en place une délégation unique du personnel (DUP), incluant le périmètre du CHSCT. Il est néanmoins tenu de consulter préalablement les instances représentatives du personnel. Dans le cadre de la DUP, les délégués du personnel, le comité d’entreprise et le CHSCT conservent l’ensemble de leurs attributions.
Une autre variante du CHSCT qui s’applique aux grandes entreprises, consiste en la création d’une instance de coordination des CHSCT. On parle alors d’ICCHSCT. Lorsqu’un projet important concerne plusieurs établissements d’une même entreprise, l’employeur peut décider d’instituer une ICCHSCT, en vue de faire réaliser une expertise unique, commune à tous les sites. Cette instance est temporaire et doit être recomposée à l’occasion de tout nouveau projet.
Son fonctionnement est identique à celui d’un CHSCT ordinaire.
Pour assurer ses missions, le CHSCT dispose de peu de moyens. Mais la loi Travail adoptée le 21 juillet 2016 lui attribue une nouvelle mission par l’article L. 4612-1 du Code du travail : celle de « contribuer à l’adaptation et à l’aménagement des postes de travail afin de faciliter l’accès à des personnes handicapées à tous les emplois et de favoriser leur maintien dans l’emploi au cours de leur vie professionnelle».
Depuis 1991, le CHSCT peut faire appel à un expert rémunéré par l’employeur dans des hypothèses bien précises. Primo, lorsqu’un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, par une maladie professionnelle ou à caractère professionnel, est constaté dans l’établissement. Secundo, en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail. Dans les deux hypothèses, l’employeur ne peut pas s’opposer à l’entrée de l’expert dans l’établissement. Il lui fournit les informations nécessaires à l’exercice de sa mission et les frais de l’expertise sont à sa charge. L’employeur peut, en revanche, contester en justice la nécessité de l’expertise, la désignation de l’expert, le coût, l’étendue ou le délai requis pour les travaux.
Pour le Syndicat des experts agréés CHSCT (SEA-CHST), « l’expertise CHSCT est justifiée par le droit des représentants du personnel à disposer d’une information autonome de l’employeur. Sans information indépendante et autonome, la pratique de la prévention et de la négociation dans l’entreprise perd beaucoup de sa portée, le droit pour les instances représentatives du personnel (IRP) d’avoir un point de vue différent de celui de l’employeur.
Sans différences d’analyse, il n’y a ni débat ni négociation ». Il n’échappe pas à cette organisation professionnelle que « l’’expertise CHSCT est souvent dénigrée car elle symbolise un écart de perception. Mais si on se réfère à l’histoire, les experts économiques du CE ont eux aussi été confrontés à cette même négation d’un point de vue différent sur l’économique. Leur posture est pourtant désormais acquise ». Plus positivement, l’expertise CHSCT contribue à réduire l’asymétrie des connaissances.
Les représentants du personnel n’ont ni la technicité ni l’expérience d’un domaine aussi pointu que celui des conditions de travail. L’expertise joue un rôle dans la chaîne globale de prévention des risques professionnels en permettant à l’ensemble des membres du CHSCT (membres élus et de droit) dans des situations souvent complexes et inédites (projet important ou risque grave) d’accéder à une connaissance objectivée. Cette connaissance est à même de nourrir le dialogue social et de permettre de trouver des issues satisfaisantes pour améliorer les conditions de travail, considère le SEA-CHSCT.
Le droit à l’expertise en cas de risque grave
La distinction doit être faite entre le cas où il y a matérialisation du risque, c’est-à-dire la survenance d’un sinistre, du cas où le risque reste potentiel.
Lorsqu’un sinistre survient et qu’il affecte la santé d’un ou de plusieurs agents, le risque est réalisé. Le recours à l’expert revêt alors un caractère curatif. Il en va de même lorsqu’il y a défaillance ou dysfonctionnement d’installations qui exposent ou qui auraient pu porter atteinte à l’intégrité physique, à la santé voire à la vie des salariés (explosions, incendies, émanations toxiques, etc).
Lorsque le risque est potentiel, il faut établir que la situation pourrait occasionner des préjudices sérieux. Cela suppose que le danger soit identifié. De même le personnel qui y est exposé, les conditions d’exposition qui font craindre un accident doivent être indiqués.
L’existence d’un risque grave a été admise par les tribunaux dans les cas suivants :
– survenance de six accidents graves, dont plusieurs mortels, en 18 mois dans l’atelier des presses, l’employeur n’invoquant la mise en oeuvre d’aucun remède, ni de mesures préventives (TGI Montbéliard, 25 sept. 1985) ;
– problèmes d’insonorisation et d’émanation de produits toxiques constatés depuis plus de deux ans par le médecin du travail et les représentants du personnel, même si les conséquences physiques ne peuvent être évaluées que de manière différée, l’employeur avait invoqué des études non achevées (TGI Lyon, 14 avr. 1989) ;
– survenance de six incidents et de trois accidents dont un mortel en six mois se rapportant tous à des manutentions de charges (TGI Dijon, 16 janv. 1990) ;
– problèmes de fumées et de poussière, les mesures réalisées par l’APAVE montrant des résultats parfois très élevés du fait de l’insuffisance de la ventilation. Ce alors que l’employeur n’envisage que des travaux touchant à la ventilation générale, sans envisager la captation des fumées à la source, ni la réduction de leur quantité (Cass. soc., 19 déc. 1990, n° 89-16.091) ;
– nombre important de lombalgies et de tendinites et exposition d’un nombre élevé de salariés au bruit, dont une majeure partie est soumise à une surveillance particulière et à des examens complémentaires, des niveaux sonores supérieurs aux normes en vigueur ayant été relevés et des cas de surdité professionnelle étant régulièrement déclarés (Nancy, juin 1996, n° 96/1630) ;
– accident du travail consécutif à l’omission d’une ma-noeuvre de précaution notoire par la victime de cet accident. Une telle situation n’atteste nullement d’une absence de risque mais révèle au contraire sa persistance, ce d’autant plus que le salarié concerné était expérimenté et qu’on aurait donc pu s’attendre à ce qu’il respecte des précautions élémentaires (CA Versailles, 11 oct. 1996, n° 95/5963) ;
– situation de tension chronique extrême et persistante dans l’établissement révélée par des arrêts de travail répétés, des troubles psychologiques, des comportements proches du harcèlement moral et l’intervention des pompiers suite à la crise nerveuse aiguë d’une salariée, et ce, en dépit du plan d’action mis en oeuvre par la direction (CA Versailles, 24 nov. 2004, n° 04/07486).
Le droit à l’expertise en cas de projet important
Chaque fois que des décisions de l’employeur sont susceptibles d’entraîner des modifications importantes en matière d’hygiène, de sécurité ou des répercussions sur les conditions de travail, le CHSCT peut se faire assister par un expert agréé (C. trav., art. L. 4612-8). Cela peut concerner :
– un nouveau système d’évaluation des salariés ;
– un projet de restructuration et de réduction des effectifs;
– un système de rémunération, une modification de la durée et de l’organisation du temps de travail, un déménagement, une réorganisation importante des services, etc.
Dans tous ces cas de figure, le CHSCT est en droit de demander l’assistance d’un expert rémunéré par l’entreprise. Peu importe que l’employeur ait déjà réalisé sa propre expertise ou compte en réaliser une, le CHSCT est toujours en droit de recourir à la sienne, dès lors que les conditions légales sont remplies (TGI Toulouse, ord. réf., 10 février 2011, n°11/00349). Il est en effet indispensable que cette expertise préventive soit diligentée par le CHSCT pour préserver toute l’indépendance et l’efficacité de l’enquête.
Par ailleurs, le recours du CHSCT à un expert n’est pas subordonné à l’impossibilité du CHSCT de trouver dans l’établissement la solution du problème posé auprès des services spécialisés de l’entreprise (Cass. soc., 23 janv. 2002, n° 99-21.498).
Le recours à un expert a été admis dans les cas suivants :
– important projet de réorganisation de nombreux postes de travail, apportant une modification importante des conditions de travail, dans un atelier très sonore nécessitant un plan de prévention pour réduire le bruit, à la demande du médecin du travail et de l’inspecteur du travail (CA Nancy, 25 juin 1996, n° 96/1630) ;
– projet d’envergure entraînant des modifications dans les conditions de travail d’un nombre significatif de salariés, conduisant à des changements déterminants, notamment dans la mixité des compétences des agents de maintenance (CA Lyon, 25 mai 1998, n° 99/708254) ;
– projet de réduction du temps de travail, complétant un programme de restructuration de l’entreprise en vue du maintien des emplois (CA Paris, 31 mai 2000, n°99/00242) ;
– harmonisation des horaires concernant des salariés en travail posté, liée à une modification du réseau de transport collectif, le médecin du travail ayant rappelé que le travail posté est en soi perturbateur des rythmes biologiques et ayant conclu qu’il était préférable de se rapprocher de ces rythmes biologiques (Cass. soc., 24 oct. 2000, n° 98-18.240) .
L’expertise doit être réalisée dans le délai d’un mois. Si ce délai peut être prolongé compte tenu des nécessités de l’expertise, il ne peut, en tout état de cause, excéder 45 jours (C. trav., art. R. 4614-18).
Dans la mesure où la demande d’expertise a pour effet de suspendre le projet considéré jusqu’à l’expression de l’avis du CHSCT, les directions tentent fréquemment de l’éviter. Les moyens qu’elles utilisent couramment sont :
– intégrer une étude d’impact sur la santé, la sécurité et les conditions de travail dans la conception du projet et communiquer sur ce détail auprès des représentants du personnel ;
– faire preuve de bonne volonté auprès du CHSCT en fournissant une multitude de documents relatifs au projet ;
– proposer une étude interne ou servir sur un plateau une étude nationale effectuée sur la même problématique. L’instance représentative du personnel peut néanmoins exiger une expertise en bonne et due forme.
La désignation d’un expert et sa contestation
Le projet de recourir à une expertise doit faire partie d’un point porté à l’ordre du jour d’une réunion du CHSCT. Et le risque concerné doit obligatoirement faire partie de l’ordre du jour de la réunion. La désignation de l’expert suppose une délibération du CHSCT, adoptée à la majorité des membres présents en réunion plénière. L’employeur ne prend pas part au vote. Le choix du cabinet d’expertise appartient donc aux élus du CHSCT, mais ils sont tenus de faire appel à un expert agréé par le ministère du Travail.
Le CHSCT devra ensuite établir la lettre de mission de l’expert et pourra se faire conseiller par ce dernier. Le recours à l’expertise doit être pensé en amont et doit être l’occasion pour le CHSCT d’avoir un autre regard sur les conditions de travail. Les intervenants vont avant tout prendre le temps de discuter avec le CHSCT pour comprendre ses attentes, les problèmes rencontrés, les inquiétudes, voir toutes les questions soulevées par un projet ou une situation préoccupante. Cette première phase est essentielle, car elle permet de rédiger le cahier des charges. Lequel résulte de la demande initiale du CHSCT et restera le fil conducteur de la démarche.
En cas de contestation de l’employeur portant sur le principe même du recours à l’expertise, sur le choix de l’expert désigné, ou encore sur le coût ou l’étendue de son intervention, c’est le président du tribunal de grande instance, statuant en urgence, qui est compétent (C. trav., art. L. 4614-13). Au-delà des contestations judiciaires devenues fréquentes, d’autres tentatives sont couramment utilisées par les employeurs, telles que des pressions sur les représentants du personnel, voire des intimidations. Elles peuvent prendre la forme de menaces de réduction de certains avantages sociaux, de diminution de certaines primes, ou de la minoration de l’augmentation salariale, etc.
Dans tous les cas de figure, la décision de recourir à une expertise doit être prise et portée collectivement par l’ensemble des élus. Il est également indispensable qu’elle soit comprise par les salariés. Pour ce faire, les élus doivent expliquer leurs attentes, le déroulé de l’expertise et les bénéfices attendus. Mais également s’engager à revenir vers le personnel pour lui communiquer les résultats de l’expertise et les axes de travail que le CHSCT aura retenus dans le cadre de son plan d’action.
La décision du CHSCT doit exposer clairement et précisément les premiers éléments démontrant la réalité de la situation de risque grave ou de changement important qui justifie le recours à l’expertise.
En cas de risque grave, la délibération peut en effet être contestée au motif que l’expertise demandée ne correspond pas, par son objet, aux conditions requises par la loi (caractère non démontré de l’existence d’un risque grave), étant précisé que la désignation de l’expert n’a pas pour objectif d’établir l’existence du risque mais de l’analyser (CA Agen, 14 février 2012). La résolution du comité doit donc comporter des éléments de faits précis caractérisant la présence d’un tel risque (TGI Nanterre, 10 juin 2005). La régularité de la décision au regard des dispositions légales est appréciée à l’examen de la résolution votée en l’état (CA Paris, 24 mai 2006) et au regard de données objectives.
En cas de projet important, le CHSCT doit décider impérativement de faire appel à un expert avant de s’être prononcé sur le projet. En effet, le recours à l’expert étant destiné à lui permettre de rendre un avis motivé, le CHSCT n’aurait plus possibilité de se faire assister par un expert, dans le cas où cet avis aurait déjà été émis. Sauf si la réalisation du projet est échelonnée de sorte que chaque phase soit assimilée à un sous-projet autonome.
Acceptation de l’expertise
Si le chef d’établissement accepte l’expertise, le travail de l’expert peut commencer immédiatement. Et cela, que la convention ait été signée ou non. En effet, la convention n’est pas obligatoire pour le déroulement de l’expertise, elle constitue avant tout une garantie sur les délais et sur le périmètre de l’expertise, les méthodes ou les éléments à prendre en compte.
Le chef d’établissement fournit à l’intervenant les informations nécessaires à sa mission. Ce dernier est soumis à une obligation de discrétion.
Les frais d’expertise sont supportés par l’établissement dont relève le CHSCT (Code du travail, art. L. 4614-13). Les tarifs sont compris en moyenne, entre 1100 et 1500€ HT par jour et par consultant. D’autres indications citées par la profession placent la barre entre 30 000 € et 100000 € HT par expertise. Le marché n’est pas faramineux: sur quelque 24000 CHSCT, seuls 5 % bénéficient d’une expertise.
En cas de refus de réalisation de la mission
L’employeur qui entend contester la nécessité de l’expertise, la désignation du prestataire, le coût, l’étendue ou le délai de l’expertise, saisit le juge judiciaire (Code du travail, art. L. 4614-13). Le président du tribunal de grande instance statue en urgence sur les contestations de l’employeur relatives à la nécessité de l’expertise, la désignation de l’expert, le coût, l’étendue ou le délai de l’expertise (Code du travail, art. R. 4614-19).
Pour la Cour de cassation, l’employeur doit supporter les frais de la procédure dès lors qu’aucun abus du CHSCT n’est établi.
La loi Travail prévoit que l’employeur qui entend contester le recours par le CHSCT ou l’instance de coordination des CHSCT (ICCHST) à une expertise (notamment, sa nécessité, son étendue, la désignation de l’expert, ou son coût prévisionnel) doit saisir le juge judiciaire. Selon la loi Travail, l’employeur doit le faire dans un délai de 15 jours à compter de la délibération du CHSCT (ou de l’ICCHSCT). Cette saisine suspend, jusqu’à la notification du jugement, l’exécution de la décision du CHSCT (ou de l’ICCHSCT), les délais de consultation de cette instance et, lorsque le CE est également consulté, le délai de consultation de celui-ci. Le juge statue, en la forme des référés, en premier et dernier ressort dans un délai de dix jours suivant sa saisine. Les frais d’expertise demeurent à la charge de l’employeur.
Toutefois, en cas d’annulation définitive par le juge de la décision du CHSCT (ou de l’ICCHSCT), l’expert doit rembourser à l’employeur les sommes perçues. Le CE peut, à tout moment, décider de les prendre en charge au titre de sa subvention de fonctionnement. La loi tire ainsi les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 27 novembre 2015. Celui-ci a partiellement censuré l’article L. 4614-13 du Code du travail qui permettait d’imposer à l’employeur la prise en charge du coût de l’expertise décidée par le CHSCT. Y compris lorsque la délibération décidant du recours à l’expertise a été annulée par le juge après l’exécution de la mission par le prestataire désigné. Autre nouvelle disposition concernant l’expertise CHSCT, l’employeur peut contester le coût final de l’expertise devant le juge judiciaire, dans un délai de 15 jours à compter de la date à laquelle l’employeur a été informé de ce coût.